billet de décembre 15
Vous nous pardonnerez un propos qui peut faire souffrir en cette période troublée. Comme beaucoup, je me suis senti mal ces dernières semaines, et les personnes autour de moi également. En essayant de partager nos sentiments, nous avons vu ressortir le panel complet des émotions : tristesse, colère, stupeur, peur, incompréhension, confusion, … mais aussi espérance devant la solidarité, courage, fierté d’appartenir à un grand pays, …
A travers ce qui a été vécu, nous avons probablement un deuil à vivre. Les émotions, non pas une seule, mais une grande variété arrivent en général après les étapes de stupeur et de déni. Ce n’est pourtant que le début de la démarche psychologique de deuil, qui a quasiment disparu de nos sociétés. Songeons ainsi que le deuil est désormais inscrit dans le DSM IV, manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ! Plus d’habits noirs, plus de cortèges, gêne devant les pleurs ou les mines déconfites. Comme si l’on ne savait plus assumer notre tristesse. Pourtant, le chemin est connu, et il fait grandir à condition de le vivre vraiment, dans le temps. Le psychologue Jean Monbourquette en a décrit les étapes : le temps des émotions ne se passe qu’en racontant autant de fois que nécessaire l’histoire de notre perte à une personne de confiance: ce qu’elle représentait pour nous, ce qu’on a vécu à ce moment-là. Vient alors quand nous y sommes prêts, l’accomplissement des tâches liées à la perte, comme le tri des affaires du défunt, mais aussi « finir les dialogues » et tenir les promesses si elles vont dans le sens de la vie. Puis la découverte du sens de la perte, car il y en a toujours au moins un, comme une plus grande conscience de nos fragilités ou l’urgence de vivre vraiment. Puis un échange des pardons avec la personne disparue, qui nous a fait mal en partant comme cela, ou que nous n’avons pas su aimer ; pardons à soi-même également. Ensuite, la laisser partir symboliquement, libérer notre esprit. Enfin, accepter l’héritage des qualités que nous aimions chez elle et que nous allons faire grandir en nous. Le deuil peut alors être soldé, éventuellement dans un acte social qui autrefois se tenait un an après l’événement.
Des résistances psychologiques s’élèvent à chaque étape, et nous empêchent de vivre l’effet libérateur que cela apporte. Certains psychologues considèrent que dans un grand nombre de cas, une dépression est en réalité la conséquence d’un deuil mal vécu… dans les 10 ans qui précèdent. Nous avons tous des deuils à faire, de différentes intensités : d’un être aimé, d’une carrière, d’un idéal, d’un pays protecteur. Apprenons qu’il n’est pas possible d’en faire l’économie, et réjouissons-nous de savoir qu’ils peuvent nous faire devenir meilleurs.
Inspiré de « Aimer Perdre et Grandir » de Jean Monbourquette (Novalis)