Je t’ordonne de bâiller !

«Pouvoir pour» ou «pouvoir sur»

Le petit prince chercha des yeux où s’asseoir, mais la planète était toute encombrée par le magnifique manteau d’hermine. Il resta donc debout, et comme il était fatigué, il bâilla.

– Il est contraire à l’étiquette de bâiller en présence d’un roi, lui dit le monarque. Je te l’interdis.

– Je ne peux pas m’en empêcher, répondit le petit prince tout confus. J’ai fait un long voyage et je n’ai pas dormi…

– Alors, lui dit le roi, je t’ordonne de bâiller. Je n’ai vu personne bâiller depuis des années. Les bâillements sont pour moi des curiosités. Allons ! Bâille encore. C’est un ordre.

– Ca m’intimide… Je ne peux plus… fit le petit prince tout rougissant…

– Hum ! Hum ! Répondit le roi. Alors je… je t’ordonne tantôt de bailler et tantôt de…

Parmi la cohorte de personnages du « petit prince » d’Antoine de Saint Exupéry, je voudrais m’arrêter sur la figure du roi. Il me semble illustrer à merveille la différence entre « pouvoir pour » et « pouvoir sur ». Le « pouvoir pour » manifeste une intention collective d’aboutir à un résultat, tandis que le « pouvoir sur » impose une volonté extérieure à des personnes.

Ce roi nous ressemble sûrement un peu, par son envie d’exister en exerçant un « pouvoir sur », de s’approprier ce qui est fait autour de lui, de construire des relations « gagnant / perdant ». Nous pouvons nous demander si dans nos activités, nous sommes davantage dans l’une ou l’autre forme de pouvoir, car elles sont souvent mêlées…

De l’autre côté, le petit prince accueille avec bonne volonté cette autorité, il se laisse traiter comme un sujet. Pour autant, ce pouvoir lui glisse dessus. Il reste lui-même et se respecte dans sa fatigue ou dans ses capacités.

La transposition peut aussi se faire dans notre activité professionnelle. Comment vivons-nous l’autorité dans nos organisations ? Comme un pouvoir qui construit ou comme un pouvoir qui rabaisse ? – Cette interprétation étant au moins partiellement subjective…

Comment y réagissons-nous : on trouve souvent des phénomènes de soumission, de complicité, de rébellion passive ou active. D’où nous viennent-ils ?

Enfin et surtout, comment faisons-nous pour nous respecter nous-mêmes dans cet environnement ? C’est même une question de survie car on ne peut maintenir notre flamme intérieure par la contrainte. Pour reprendre un aphorisme de Denis Plane : « Il n’y a rien de pire pour la motivation que de transformer ce qu’on fait avec passion en une obligation envers quelqu’un qu’on n’aime pas ! »