« Il était dans les chars ? »
« Non, dans la limonade ! Sois à c’qu’on t’dit ! »
Cette réplique d’un thriller psychologique pose bien la question de
l’intensité de la présence. Les parents le répètent d’ailleurs souvent à leurs enfants qui musardent devant leur cahier : « sois à ce que tu fais ! »
Reconnaissons qu’il n’est pas besoin d’être sous le coup du « bizarre » pour avoir un problème d’attention, pour s’évader dans sa tête lors d’une réunion, pour se gâcher un weekend en pensant au travail, pour être dans son smartphone quand un proche nous parle – voire tout le temps – , bref, pour être présent tout en étant absent.
Une des maladies de notre temps, avec l’accélération du rythme de vie, c’est la baisse de la qualité de présence. Pour en faire plus, nous organisons davantage, raccourcissons les actions, et passons en multi-tâches. Les nouveaux outils de communication et d’organisation permettent d’absorber une charge mentale croissante, à un point enivrant ! Mais on pourrait se demander si au contraire il ne faudrait pas en faire moins, et plus lentement. Si tant de cadres éprouvent le besoin de se ressourcer par de la méditation de pleine conscience et des séjours dans des endroits « magnifiques et préservés », n’est-ce pas pour retrouver des plages de silence, de lenteur et de présence à soi-même ?
Qu’est-ce qui nous empêche d’être présent, au delà du rythme extérieur de nos journées et de nos « obligations » ? Les sages bouddhistes comme les pères du désert enseignent de surveiller « nos pensées », ce flot ininterrompu de voix, d’images, de ressentis qui traversent notre conscience. Ce sont elles qui nous attirent et nous font dévier de notre route, qui nous font partir en surf. Mais les pensées peuvent être de natures différentes. Je vous propose une classification à partir de la fameuse matrice d’Eisenhower urgent / important appliquée non pas à nos actions mais à nos pensées :
– Nos pensées non urgentes et non importantes seraient des « distractions » : notre culture de loisir nous en abreuve, et nous y avons bien droit…
– Nos pensées urgentes non importantes seraient des « déviations » : oserais-je penser que les publicitaires les ont bien identifiées pour stimuler nos pulsions ?
– Nos pensées urgentes et importantes seraient des « perturbations », fief dominé jusqu’à l’excès par le monde professionnel et nos « obligations » ;
– Enfin, nos pensées non urgentes mais importantes, appartiendraient à la zone fondamentale que le grand Ike qualifiait de « planification ». On peut y trouver la considération de notre personne dans son ensemble, la calme vision de notre agir social, familial et professionnel, nos aspirations profondes… Mais soyons sincères, leur reste-t-il de la place dans notre espace mental ?
En poursuivant l’analogie, c’est en accordant davantage de temps à la planification que le reste s’organise harmonieusement : on peut décider de laisser filer certaines pensées, d’en bloquer d’autres, d’investir dans celles qui nous semblent bonnes pour nous, de hiérarchiser nos obligations. Il est alors probable que nous serons davantage à ce qu’on nous dira, à ce que nous ferons et in fine à qui nous sommes en vrai !