Être menacé est-il une bonne nouvelle ? D’abord, reconnaissons que non !
C’est une perspective néfaste, qui nous met en risque de perdre un avoir précieux, ou d’être blessé ou tué. Cela pèse, parfois à en devenir obsédant.
Nous aimerions bien en effet rester dans notre confort, sur notre ligne, dans notre plan de carrière, dans notre idée d’une vie rêvée… Sur le plan collectif, la croissance économique serait de 3% pour toujours, la terre fournirait une quantité illimitée de ressources, le climat serait celui que nous avons connu, la science apporterait des réponses à tous nos problèmes, et la raison éclairée conduirait tous les peuples à des comportements pacifiques.
Cependant, partout, des brèches s’ouvrent. Un peu comme au début du XXème siècle lorsque l’Europe eut la certitude d’avoir tout découvert, où Hilbert entreprit de refonder les mathématiques, où l’on professait que si l’on connaissait toutes les particules de l’univers, on serait en mesure de prédire l’avenir, et où les immenses avancées dans tous les domaines conduisirent à la glorification du « progrès ». Einstein, Gödel et la Grande Guerre nous ramenèrent à la petitesse dont nous étions issus.
Que faire alors, face aux menaces actuelles : changement climatique, terrorisme, cyber, conflits entre puissances, nouvelles maladies ?
D’abord, se référer à l’histoire et plus précisément les chroniques des temps passés. Alors que nous avons dépassé 75 ans de paix dans notre pays, elles permettent d’entrer dans l’intensité des menaces que vivaient nos aïeux et peut-être de relativiser nos malheurs. J’ai lu avec émotion la dernière lettre à sa femme d’un ancêtre qui devait être fusillé par les Prussiens le lendemain, et qui fut finalement sauvé. Quelle actualité dans ces lignes !
Ensuite, les regarder en face. Deux mécanismes classiques de déni cognitif et de déni affectif nous pousseraient d’un côté à nier les menaces ou à en minimiser les conséquences, et de l’autre à accuser quelqu’un ou à accepter avec fatalisme. On reconnaît dans cette dernière attitude la posture victimaire de nombreux contemporains.
Enfin, s’y confronter. « Que vas-tu faire de ce qu’on t’a fait ? » est une phrase qui remet debout. Les menaces qui pèsent sur nous peuvent ouvrir un chemin nouveau. La « destruction créatrice » de Schumpeter, principal moteur de l’économie sur le long terme, l’a souvent démontré.
Et dans le champ personnel, combien de personnes ont ré-orienté leur vie et connu un épanouissement remarquable à la suite d’un accident de parcours. Une perte, un bouleversement obligent à mobiliser des ressources insoupçonnées, à apprendre à faire autrement, et finalement à concentrer la brièveté de notre durée et la rareté de nos forces sur ce qui en vaut vraiment la peine.
Les menaces qui nous sont envoyées ne constitueraient-elles pas alors une véritable chance ? En management, on cite volontiers que l’idéogramme signifiant « crise » est composé des deux idéogrammes « menace » et « opportunité ». A cet égard, notre époque nous propose de merveilleuses opportunités. A chacun de nous d’en tirer le meilleur.
* Article dérivé de mon édito du magazine des ingénieurs de l’armement n°120 de février 2020 ; www.caia.net/revue/numeros