Jacques Dutronc avait attiré notre attention sur le retournement de veste. Voici une proposition pour retourner la pensée, ce qui est, il faut le reconnaître, une autre paire de manches. Je m’appuie pour cela sur « le travail » (The work) de Byron Katie, que Philippe Aymar m’a fait découvrir. Comment, à travers quatre questions simples, redresser notre positionnement mental, ce qui en cette fin d’année, me parait particulièrement utile.
Contester le réel
Une grande partie de nos maux vient de ce que nous vivons une situation différente de ce qu’elle devrait être : mon conjoint n’est pas assez gentil, mes enfants devraient plus sages, mon patron ne me reconnaît pas, mon entreprise a trop de défauts, mon pays est en perdition, le monde va mal. Et moi-même, je suis trop gros, je ne devrais pas être si fatigué, je travaille trop, je devrais être promu, etc…
Plus encore, je peux me faire des reproches sur ce que j’ai fait ou que je n’ai pas fait, ou encore sur ce qui est arrivé et qui aurait pu ne pas arriver : si je n’avais pas répondu à ce moment-là, alors, je n’aurais pas été viré… si je n’avais pas pris ma voiture ce matin, j’aurais évité cet accident, …
Lorsque de telles pensées prennent possession de mon esprit, la vie devient lourde. C’est ainsi que Byron Katie a subi une dépression suicidaire sévère qui a duré une dizaine d’années. En effet, plusieurs dizaines de fois par jour, le dialogue intérieur rumine les mêmes poncifs, et les pensées contestent la réalité du monde. Pourtant, contester n’a aucun effet sur le monde extérieur. Cela se rapprocherait plutôt de la pensée magique des petits enfants, qui croient que vouloir un miracle suffit à le faire surgir. Et au lieu de nous aider, cela entraîne plutôt un état dépressif et tout un cortège de sentiments désagréables, fausse culpabilité, sentiment d’impuissance, accusation de soi- même, paranoïa, etc…
Une des clefs de libération consiste à lâcher prise sur la réalité : certes, mon esprit me dit que telle chose n’aurait pas dû arriver. Mais en même temps, je dois reconnaître qu’elle est arrivée. Que se passerait-il si nous pouvions nous dire, avec logique, que telle situation – probablement désagréable pour moi – aurait dû arriver puisque précisément, elle est arrivée ?
Alors, en cessant de contester la réalité, l’action redeviendrait simple, fluide, bienveillante et sans peur.
Mon pouvoir, ton pouvoir, son pouvoir
Beaucoup des pensées toxiques qui nous travaillent peuvent s’éliminer en considérant simplement la question du pouvoir associé : qui a le pouvoir de changer les choses ?
– Pour certaines affaires, c’est une instance supérieure qui est en cause : Dieu, le destin, la malchance, le réchauffement climatique ou tout autre nom. Si je passe dans la rue et qu’un pot de fleurs me tombe sur la tête, cela échappe à mon pouvoir. Inutile de régenter notre vie pour éviter tout danger, car le risque zéro n’existera jamais. Alors, à quoi bon ruminer que ce pot de fleurs n’aurait pas dû tomber, puisqu’il échappe à mon pouvoir. Me désoler de ce que le Destin aurait ou n’aurait pas dû faire ne peut que me faire heurter le mur de mon impuissance.
– Dans d’autres cas, le pouvoir appartient à autrui. « Je voudrais que ma fille arrête de fumer », par exemple, regarde le pouvoir de ma fille, pas le mien. Je peux choisir un objectif « écologique » consistant à construire une relation de confiance avec ma fille pour pouvoir lui dire ma crainte devant son attitude, mais lorsque je prends une décision à sa place, je suis en abus de pouvoir. Je pense à sa place, j’agis à sa place, je prends sa place et du même coup, je déserte ma propre place. On ne peut être chez soi et chez l’autre simultanément. On comprend le vide existentiel et l’angoisse schizophrène qui en résultent.
– En fait, les seules affaires qui méritent une action de ma part sont celles qui sont dans mon pouvoir ! Je peux et dois faire ce qui est bon pour moi. Il existe des critères et une méthode pour se fixer un « objectif écologique », c’est-à-dire bon pour nous et qui ne dépende que de nous. Contactez-moi pour en savoir davantage.
Vous pouvez faire une liste de ce qui vous stresse le plus en ce moment, puis demandez-vous de quel type d’affaire il s’agit, et si vous êtes bien dans vos propres affaires… En faisant la liste, combien en reste-t-il qui ne dépendent que de nous ?
Je ne suis pas mes pensées
Mes pensées sont comme un vent qui souffle dans mon être. Elles vont et viennent, conduisent des raisonnements, s’expriment sous forme d’avis, d’opinions. Elles sont inoffensives jusqu’à ce que je les croie. Alors, elles s’enracinent sous forme de croyances plus ou moins toxiques. En particulier, les croyances concernant les personnes ont un effet particulièrement néfaste en empêchant toute relation équilibrée.
De nombreuses personnes croient ainsi être ce que leurs pensées leur disent qu’elles sont. Mais elles sont autre chose, et bien plus que cela. Faites l’essai d’observer vos pensées sans y accorder trop d’importance. Alors, elles passent, et nous lâchent au bout de quelque temps. Après l’exercice qui suivra, vous en aurez une preuve…
Jugez votre voisin
Le christianisme nous donne le précepte évangélique « ne jugez pas ! » On distingue certes le jugement sur les actes – qui ont un contenu moral – du jugement sur les personnes. Mais soyons francs, nous passons en réalité notre temps à juger. Rappelez-vous par exemple une situation au volant lorsque quelqu’un vous coupe la route … Sous le coup d’une émotion, des pensées sortent à jet continu pour nous justifier, nous opposer, nous défendre.
Alors, nous allons vous proposer l’exercice inverse, de juger votre voisin. Prenez un moment au calme, avec une feuille de papier, et pensez à une personne à qui vous n’avez pas totalement pardonné.
Soyez autant que possible, spontané, dur, critique, mesquin et infantile. Soyez simplement honnêtes et sans censure. Il n’y a aucune menace de punition ou de conséquence, vous pouvez exprimer vos sentiments librement. Et même, faites-vous plaisir !
La pensée se lâche…
Au sujet de cette personne :
1. Qu’est-ce qui vous irrite, vous perturbe, vous attriste ou vous déçoit et pourquoi ? Qu’est-ce que vous n’aimez pas à son sujet ? (Souvenez-vous : Soyez dur, enfantin, mesquin.) Je n’aime pas (Je suis en colère, ou triste, ou effrayé, ou perturbé, etc., par) (nom) parce que . . . . . . . . .
2. Comment voulez-vous qu’il/elle change ? Que voulez-vous qu’il/elle fasse? Je veux que (nom) . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3. Que devrait ou ne devrait-il/elle pas faire, être, penser ou ressentir ? Quel conseil pourriez-vous offrir ? (Nom) devrait (ne devrait pas) . . . . . . . . . . .
4. Avez-vous besoin de quoi que ce soit de sa part ? Que doit-il/elle faire pour vous permettre d’être heureux ? (Imaginez que c’est votre anniversaire et que vous pouvez tout obtenir. Allez-y !) J’ai besoin que (nom) . . . . . . . . . . . . . . . .
5. Que pensez-vous de lui/elle ? Faites une liste. (Ne soyez ni rationnel ni gentil.) (Nom) est. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6. Qu’est-ce que vous ne voulez plus jamais éprouver avec cette personne? Je ne veux plus jamais . . . . . . . . . . . . . . . .
Les quatre questions
Voilà, c’est fini, ou presque. Vous pouvez vous féliciter d’avoir mis par écrit des croyances à propos d’une personne qui vous a fait du tort. Cela soulage de bien se rappeler pourquoi il a tellement tort et vous tellement raison.
Vous allez maintenant vous appuyer sur cette matière sous forme de quatre questions et d’un retournement.
Pour chaque affirmation, posez-vous sincèrement les questions qui suivent.
1. Est-ce que c’est vrai ?
2. Pouvez-vous absolument savoir que c’est vrai ?
3. Comment réagissez-vous, que se passe-t-il, quand vous croyez cette pensée ?
4. Qui seriez-vous sans la pensée ?
Observez ce qui se passe en vous lorsque vous répondez aux différentes questions. La situation vous apparaît-elle modifée ?
La question sur « qui seriez-vous sans la pensée » recèle une puissance considérable. Prenez le temps de vous la poser, en restant attentif à ce que vous ressentez, voyez, entendez.
Le retournement de la pensée
Enfin, retournez la pensée. Pour chaque affirmation, il y a plusieurs retournements possibles. Vous êtes invité à trouver trois exemples précis et authentiques où vous avez vécu un opposé de l’affirmation qui vous est si pénible. A titre d’exemple, l’affirmation : « XX m’a menti » peut devenir :
- XX m’a dit la vérité
- J’ai menti à XX : à quelle occasion, pourquoi, comment. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Je me suis menti à moi-même
Pour la sixième question, sur ce qu’on ne veut plus jamais éprouver, le retournement peut devenir « je suis disposé à » ou « je me réjouis de ».
Au terme de cette démarche, comment vous sentez-vous ?
Habituellement, la liste de griefs initiale a perdu toute agressivité. Au contraire, nous ressentons de l’amitié pour la personne à qui nous n’avions pas pardonné jusque là, car nous sommes si proche d’elle…
Attention cependant, car la personne n’a pas encore fait sa part de chemin, et il peut lui rester une inimitié réciproque de celle que vous aviez. Mais vous avez gagné de la liberté, ainsi qu’une meilleure perception de la réalité, ce qui veut aussi dire une liberté d’action nouvelle.
En parlant de cette personne, vous avez surtout parlé de vous-même, de manière détournée et non agressive. Vous avez contourné les barrières intellectuelles qui se seraient dressées immédiatement si on avait parlé de vous remettre en cause.
Cette démarche issue d’une découverte très pragmatique de Byron Katie peut modifier en profondeur la manière dont nous vivons. Elle est complémentaire des autres approches classiques du coaching et du développement de la personne. Elle évite aussi d’aller chez le psy ! Quatre questions et un retournement nous libèrent de nos pensées néfastes, nous connectent à la réalité et nous rendent notre pouvoir d’agir au bon niveau.
N’hésitez pas à en abuser.
Article initialement publié dans le magazine des ingénieurs de l’armement n° 105 www.caia.net