Ecrire un article, c’est comme plonger. Tant qu’on est hors de l’eau, cela paraît repoussant, trouble, visqueux. C’est par volonté que l’on y va. Aussitôt qu’on y plonge la tête, les choses prennent une autre couleur. Le froid s’oublie et l’intérêt se porte sur des formes inaccoutumées. L’exploration commence…
Cette représentation vous a-t-elle parlé ? Peut-être cela a-t-il évoqué pour vous une expérience personnelle de plongée, ou d’écriture. Selon votre préférence, peut-être l’avez-vous transposée sous forme d’image, ou de son, ou encore d’impression. Mais ces représentations sensorielles n’ont aucune raison de ressembler à ce que j’évoquais. Elles font partie de votre expérience ou de votre imaginaire. Elles vous appartiennent.
LAISSER SE DÉPLOYER LA PUISSANCE DES MÉTAPHORES…
Ne pas contaminer grâce au clean language
David Grove, psychothérapeute néo-zélandais, se rendit compte à partir de l’analyse des meilleurs thérapeutes des années 70 que dans les questions qu’ils posaient, ils influençaient souvent à leur insu les réponses de leurs clients. En choisissant de rebondir sur tel ou tel terme, ils orientaient l’entretien. Une phrase aussi simple que « j’aimerais bien essayer, mais je ne supporterais pas l’échec » fournit de nombreuses pistes possibles pour un coach ou un chef : essayer quoi, l’envie d’essayer, les résistances qui retiennent d’essayer, ce que la personne entend par « essayer », les ressources qui permettraient d’essayer, les histoires d’échecs, ce qui se passe quand on échoue, ce que veut dire ne pas supporter, ce qui se passerait alors, comment on sait que c’est un échec, ce qui caractérise un non-échec, etc…
Pour sa part, David Grove s’appliqua à formuler les questions les plus simples et les moins orientées possibles. Cela passe par la reprise exacte des termes de ses clients, sans rien ajouter, et l’utilisation de mots les plus vagues possibles dans ses demandes. Si l’on demande en effet « qu’est-ce cela évoque chez toi ? » ou « que vois-tu comme solution », il y a une influence vers une représentation auditive dans le premier cas et visuelle dans le second. Au contraire, dire simplement « C’est comment ? » laisse la personne libre de choisir.
Dans son approche baptisée Clean Language, il s’agit d’éviter de contaminer son interlocuteur par des « MAP », métaphores, a priori et présupposés, et au contraire, de le laisser visiter des éléments importants de son expérience et de ses représentations. Le « moi » de l’accompagnateur disparaît presque dans l’échange, et la puissance des métaphores peut se développer. Lorsqu’il accompagnait de personnes ayant vécu des traumatismes, cette exploration faisait petit à petit disparaître les symptômes, parfois par des chemins inattendus.
De la thérapie au leadership
A sa mort en 2008, James Lawley et Penny Tompkins reprirent ses enregistrements et identifièrent une dizaine de questions qui revenaient fréquemment. Ils les appliquèrent aussi à d’autres domaines que la thérapie, notamment le management, ou la gestion de projet.
Cela peut correspondre en effet à une situation professionnelle difficile. Imaginons que votre interlocuteur dise : « je me sens comme un bateau dans le mauvais temps », il ne s’agit pas de vous demander si c’est un voilier ou une barque, si c’est une tempête ou une grosse mer car cela viendrait de vous, mais de simplement dire : « de quel genre de bateau dans le mauvais temps s’agit-il. » puis de laisser creuser.
Cela peut aussi correspondre à des schémas de performance difficilement compréhensibles autrement. Des questions comme : « lorsque tu réussis le mieux, c’est comment ? » ou « à ce moment-là, c’est comme quoi ? » permettent l’accès à ces métaphores enrichissantes. Pour ma part, je vois mon rôle de coach comme celui de quelqu’un qui a des clefs, qui ouvre une serrure, et la personne choisit ou non d’ouvrir la porte.
Autoriser nos propres métaphores
« La métaphore est peut-être la ressource la plus efficace de l’homme. Sa virtualité tient de la magie, et il semble que c’est un procédé de création que Dieu a oublié dans la créature quand il l’a faite. » disait José Orgega y Gasset.
De fait, chacun de nous utilise un grand nombre de métaphores dans l’élaboration de sa pensée, on parle de quatre par minute ! Prenons des phrases comme « je suis à un carrefour », « nous sommes tirés vers le haut », « il faut éviter de prendre le mur, » « j’ai mis mon mouchoir sur mes valeurs. »
Certaines sont liées à notre passé, à nos valeurs, nos croyances, et elles peuvent avoir un effet sur notre énergie personnelle et notre motivation. Ainsi dans une stratégie que je proposais selon la pédagogie de Jean Monbourquette, deux jeunes talents décrivaient chacun une métaphore. L’un disait « le monde est comme un grand cimetière et il faut survivre. » L’autre « l’univers est comme un grand cirque et je suis un acrobate. » L’énergie est différente ! Nommer, visiter ces métaphores – avec l’aide d’un accompagnateur – permet de les faire advenir à la conscience, ce qui empêche qu’elles nous influencent à notre insu et de pouvoir les modifier à notre profit.
POSONS-NOUS LA QUESTION SINCÈREMENT : QU’AIMERAIS-TU QU’IL SE PASSE ?
Grimper un barreau de l’échelle du leadership
La plupart des notions que nous manipulons dans notre activité professionnelle n’existent pas à proprement parler. Par exemple, le business, le projet, le risque juridique ne sont pas des objets tangibles, mais des concepts. Et pourtant, nous sommes appelés à prendre des décisions concrètes à partir de ce que nous nous en représentons.
Lorsque nous en parlons en équipe, il n’y a que peu de raisons pour que nos représentations soient les mêmes. On connaît l’adage : « Je suis entré dans le bureau du chef avec mes idées, je suis ressorti avec les siennes ! » Ce qui vaut pour les idées vaut aussi pour les représentations, avec la croyance – peut-être – que la métaphore du chef vaut mieux que la mienne !
Progresser en leadership signifie s’engager davantage au profit de l’objectif commun et de l’équipe. Le sens, le sentiment de valeur ajoutée comptent pour beaucoup dans notre motivation, et sont basés… sur la représentation que nous en avons.
Utilisé dans ce cadre, le Clean language permettra à chacun de pouvoir dire ce qu’il a vu et ce qu’il sent, d’exprimer ce qui lui semble bon pour son organisation, à partir de son intime conviction.
En pratique
En Clean language, une question d’introduction est souvent : « dans votre vie, votre activité… qu’aimeriez-vous qu’il se passe ? » Si nous prenons un peu le temps d’y réfléchir avec une feuille et un crayon, que voudrions-nous réellement qu’il se passe pour nous ?
Puis, nous trouvons des questions d’exploration : « c’est quel genre de … ? »
Si la description s’arrête, ou si on semble avoir fait le tour, une relance peut être : « qu’y a-t-il d’autre autour de ce… ? »
Fréquemment, des métaphores surgissent dans ces questions et on peut demander : « cela a quelle forme, quelle taille ? »
Pour susciter une métaphore, lorsque c’est le bon moment, on demande « ce qui se passe, c’est comme quoi ? »
L’exploration s’effectue également dans le temps et dans l’espace, avec un très simple et puissant « C’est où ? » Parfois, la réponse concerne un lieu physique extérieur, une direction, et parfois le propre corps de la personne. J’ai observé que certaines réponses sont instantanées et surprennent la personne elle-même, comme si elle savait exactement ce dont elle parle alors qu’elle ne l’a jamais exprimé.
Pour le temps, il s’agit de proposer un recadrage avec par exemple « cela vient d’où ? », « qu’est-ce qui se passe juste avant ? » et « qu’est-ce qui se passe alors ? »
Enfin, la métaphore étant justement un lieu de travail, on peut mettre en mouvement par la question : « et que devrait-il se passer pour… ? »
Ecouter l’inexprimé
Par rapport à l’écoute active, centrée sur le sentiment, le méta-modèle qui vise à corriger des anomalies de représentations par le langage, et bien d’autres formes d’écoute, le Clean language est d’abord assez frustrant, car nous brûlons d’envie d’apporter des solutions à ce que dit notre interlocuteur. Sur l’histoire du navire dans la tempête, j’ai été pour ma part persuadé que le plus important, c’était de faire comprendre de quel type de tempête il s’agissait, si le navire courait un risque, qui était le capitaine…, avant de découvrir que cette métaphore ne m’appartenait pas.
Utiliser ce type de questionnement aura comme avantage de créer une relation plus juste avec soi-même, pour bien distinguer ce qui vient de moi de ce qui vient de l’autre, et avec l’autre, en lui donnant du temps et de la sécurité psychologique pour discerner ce qu’il voudrait dire, et qu’il n’est pas habitué à exprimer.